Lisez les 4 premiers chapitres du volume I (Neuf manières de mourir dans l'espace)

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Année 2652. L'humanité se compose de 700 milliards de personnes, qui vivent ensemble dans un système solaire surpeuplé et sur le point de s'effondrer. Les ressources primaires (la nourriture, l'eau, l'air, les différentes sources d'énergie, le logement…) sont rares et sont soumises au trafic et à des prix excessifs. Les déchets, la saleté et la pollution constituent un problème endémique global et, en raison de la surpopulation, les maladies et les épidémies font des ravages parmi la population.
Les riches et les puissants, hébergés sur la Terre, se reproduisent grâce à des techniques génétiques in vitro et créent des êtres à l'esthétique, au sexe et à l'immunité pathologique prédéterminés. D'autre part, les pauvres vivent entassés dans les satellites extérieurs, dans les quartiers défavorisés de la Lune et de Mars ainsi que dans les innombrables anciennes stations spatiales dispersées dans tout le système solaire (froides, sales, décaties, désolées et malsaines) et ils procréent selon la méthode traditionnelle (le sexe), de sorte que l'apparition de personnes avec des déficiences est inévitable.
Un seul gouvernement dirige toute l'humanité. Les anciennes nations de la Terre ont disparu depuis longtemps.
Cependant, le gouvernement n'est pas élu démocratiquement mais au travers d'accords entre les grandes entreprises (construction, mines, audiovisuel, armes, robotique et énergie : gaz, pétrole, électricité). Par conséquent, toute l'administration publique est rongée par la corruption. Chaque membre du gouvernement ne s'intéresse qu'à lui-même, aux amis et aux puissants à qui il doit sa position. Les problèmes de la population sont sous-estimés par les dirigeants (par exemple, le système de santé est très précaire et la scolarité ne couvre que les premières années).
D'autre part, sur chaque satellite ou planète, un gouverneur est nommé par le gouvernement de la Terre pour s'occuper des questions locales telles que l'ordre public et la collecte des impôts. Cependant, étant donné l'inefficacité du gouvernement de la Terre, les gouverneurs ont fini par devenir des dictateurs qui imposent leur loi.
En l'absence de gouvernance et de structure sociale, des mafias, des clans et des seigneurs de guerre sont apparus partout pour dominer les territoires et contrôler les approvisionnements, toujours de façon illégale. Ils contrôlent tout : les armes, les drogues, l'eau, l'air, les aliments synthétiques, les médicaments, le gaz, le carburant, l'électricité, les codes numériques pour nécessaires pour accéder à n'importe quelle information… Beaucoup de ces biens sont produits par ces mêmes clans qui les distribuent ensuite (sans permettre à d'autres de leur faire concurrence, en utilisant la violence si nécessaire ; de sorte qu'ils fixent les prix, toujours à la hausse). S'ils ne produisent pas eux-mêmes ce matériel, ils le volent ou le piratent et le distribuent ensuite illégalement. Lorsqu'ils ne se battent pas contre l'armée ou entre eux, ils extorquent de l'argent aux entreprises ou corrompent les fonctionnaires locaux pour faire du profit. Si cela ne suffit pas (et c'est généralement le cas), ils extorquent de l'argent aux gens du peuple par des menaces, du chantage, des enlèvements et des raids. Même dans les stations spatiales, où les directeurs peuvent contrôler l'activité grâce à la garnison militaire qui y est stationnée, il y a des espaces contrôlés par des trafiquants de drogue, d'armes et de nourriture.
D'autre part, l'armée s'est montré incapable de contrôler le système solaire. On estime que seul un tiers des forces armées assure les fonctions de contrôle de la circulation et de sécurité ; mais, en tout état de cause, elles ne protègent jamais les personnes. Les deux tiers restants agissent soit comme des mercenaires au service de grandes entreprises ou de grands clans, soit de leur propre chef, s'enrichissant des fruits du vol ou du chantage des transporteurs.
Et c'est ainsi que fonctionne la société du milieu du XXVIIe siècle. Elle est une époque sombre que les historiens appelleront plus tard le « Néo-féodalisme » ou aussi « Deuxième Far West ».
Dans cette société décadente, violente, corrompue, délabrée et en déclin, où les gens ne pensent qu'à leurs propres intérêts sans se soucier des autres, il y a des personnes qui vivent hors la loi, comme trafiquants ou corsaires, ou qui offrent leurs services comme escortes, mercenaires ou gardes du corps ; et aussi en tant que transporteurs de cargaisons de valeur ou que voleurs de ces cargaisons. Ces emplois sont très risqués, mais aussi très lucratifs. Parmi ces personnes se trouve l'équipage du vaisseau spatial Skørdåt.
Dans ce monde, Mikka, petit délinquant de la Lune, ne pouvait pas imaginer qu'il finirait sur le Skørdåt…
*Voir à la fin du roman les explications sur le fonctionnement des mesures, du langage et de la monnaie [n. a.].

[1]

Rue principale de Capsídia, ville de la Lune, satellite de la Terre

La rue la plus importante de Capsídia (une ville de la Lune), très éclairée, était pleine de gens de toutes sortes, avec un va-et-vient continuel. Tout au long de la rue, on pouvait entendre le bruit des gens et des véhicules volant à une dizaine de mètres de hauteur.
Dans un coin, partiellement cachée, une jeune fille à la peau blanche d'environ 22 ans regardait la foule passer. Elle était bien abritée : elle ne voulait pas être vue, il n'y avait pas besoin d'attirer l'attention sur elle. Elle était vêtue d'un imperméable brun qui la couvrait entièrement. Elle portait également des lunettes noires à monture large et arrondie pratiquement cousues sur sa peau. Ses cheveux, roux et avec des piques, en disaient long sur son caractère : quiconque l'approchait risquait de se faire planter si ce n'était de recevoir une balle entre les sourcils. La jeune fille regardait des deux côtés sans cesse : elle ne voulait pas voir apparaître de soldats, encore moins les paramilitaires qui contrôlaient la came illégale sur la Lune. Si les premiers la découvraient, elle était foutue ; si les seconds la découvraient, sa situation était encore pire.
Finalement, elle se décida. Elle commença à se déplacer dans la foule en traversant la rue. Elle devait tenter le coup.
Non loin de là, Mikka, un garçon à la peau blanche, aux yeux bleus et aux cheveux blonds hérissés, se glissait dans la foule. Il portait un manteau en nylon noir brillant avec plusieurs poches à l'intérieur. Il avançait, esquivant les personnes qui venaient vers lui, mais pas de beaucoup : juste assez pour frôler la personne qu'il essayait d'esquiver. Lorsqu'il frôlait quelqu'un, il glissait d'un geste rapide et habile la main dans la poche de ce dernier afin de lui voler l'intcom. Ces dernières heures, il avait réussi à en voler quatre, une véritable fortune : l'intcom n'était pas seulement un outil pour la communication, mais aussi un système de paiement et, tant que le propriétaire ne se rendait pas compte que l'intcom avait été volé, on pouvait soustraire autant de crédits qu'on le souhaitait. Lorsque Mikka avait volé un intcom, il faisait transférer le solde de celui-ci dans un autre intcom et ce jusqu'à ce qu'il soit bloqué par son propriétaire. Mais, en outre, dans un cet appareil, on pouvait trouver beaucoup de codes : bancaires, d'accès au logement ou au travail, pour voir les contenus de paiement sur le réseau… Une vraie mine pour un hacker. Avec patience, Mikka avait réussi à percer des mots de passe, à faire sauter différents systèmes de blocage et à vendre tous ces codes au marché noir.
La jeune fille aux cheveux roux et hérissés était déjà à l'endroit désiré. Elle se tenait devant un portail pendant qu'une foule de piétons la contournait de tous côtés, de haut en bas, comme s'ils ne la voyaient pas. Elle se décida et entra. À l'intérieur, il y avait des gens qui travaillaient avec des câbles, des plaques et des fers à souder, assis à des tables à un niveau plus bas par rapport à la porte de la rue. La jeune fille resta debout pendant quelques secondes, balayant la pièce du regard en tournant légèrement la tête d'un côté à l'autre.
On avait l'impression qu'elle ne faisait que regarder, mais dans le verre de ses lunettes noires, il y avait une quantité infinie d'informations visibles aux yeux de la jeune fille : combien d'armes se trouvaient dans la pièce, combien de câbles, combien de caméras, combien il y en avait, même si, bien sûr, l'important était de savoir qui les contrôlait.
Après quelques secondes, la jeune fille descendit les trois marches qui séparaient la porte de la chambre. Puis, du fond de la salle, on entendit gronder une voix d'homme grave :
— Bon, eh bien, regardez qui est là… Rakkett. Il faut beaucoup de culot pour se pointer ici comme ça. C'est votre putain de frère, qui vous envoie ?
Les personnes travaillant derrière les tables cessèrent légèrement leur activité. C'était à peine perceptible, mais tout le monde regardait d'un air soupçonneux cette Rakkett.
Rakkett ne broncha pas. Elle se limita à faire le travail qu'elle était venue faire et se mit au travail.
— Salut, Gressyt. J'ai besoin de leddarol. Quatre litres.
Gressyt sortit de l'ombre au fond de la salle. C'était un nain, ce qui contrastait avec sa voix puissante.
— Quatre litres ? C'est beaucoup. Avec beaucoup moins, tu peux aller d'ici à Saturne en quelques chrons. Je vois que vous avez besoin de beaucoup de leddarol sur le Skørdåt.
Rakkett savait déjà que ce serait difficile, elle décida donc de continuer à jouer son rôle de simple transaction.
— En ce moment Saturne est de l'autre côté du Soleil. Avec quelques décilitres de leddarol, il faudrait au moins deux chrons et demi pour y arriver.
Gressyt sourit, mais seulement un moment, parce que, comme prévu, cette fille était très butée.
— Arrêtons les détails techniques, ma fille. Il est difficile de synthétiser le leddarol. Et si tu as fait tout ce chemin pour me demander une telle quantité, je pense que tu es sur le point de faire quelque chose. Ce serait gentil de ta part de me dire ce que tu trames.
Rakkett savait déjà que l'information était aussi précieuse que le leddarol, elle ne fut donc pas surprise par la demande. Elle déclara un peu sournoise :
— J'avais l'intention de te payer uniquement avec des crédits, mais je vois que tu veux que je te paie aussi avec des informations.
Gressyt continua d'approcher jusqu'à ce qu'il soit à quelques mètres de la fille, puis lui cracha :
— C'est moi qui fixe les conditions de vente, fille de l'espace. Alors, si tu veux mon leddarol, parle.
Alors Rakkett dit de suite :
— Eh bien, nous avons pas besoin de leddarol pour une chose en particulier. Tu sais, l'énergie solaire permet de se déplacer dans l'espace, mais seulement ça, se déplacer et parfois… tu sais… il faut aller un peu plus vite. Je veux dire, si tu dois semer une frégate militaire… ou d'autres vaisseaux d'indésirables, tu sais ce que je veux dire… Pour avancer rapidement, il faut du carburant et pas seulement de l'énergie solaire. Et le leddarol est l'un des plus puissants.
Lorsque Rakkett termina, Gressyt attendit quelques secondes pour répondre. Il parla d'abord d'un ton doux et mielleux, en faisant traîner chaque syllabe :
— L'énergie solaire… Oui, l'énergie des pauvres. Ça permet d'avancer, mais seulement cela, avancer… Et ceux qui veulent partir illico presto doivent acheter du carburant, comme du leddarol… C'est clair.
Gressyt fit une pause, mais reprit ensuite son discours, adoptant un ton plus dur :
— Mais tu ne m'as toujours pas répondu. Tu mijotes quoi ?
Rakkett réalisa que si elle ne lui révélait rien, Gressyt se fermerait et ne lui vendrait pas le carburant. Elle lui lâcha donc :
— Klànius, de Junon, cherche quelqu'un pour faire un petit travail pour lui. Un de ceux pour lesquels on pourrait risquer son cul, je suppose que tu as compris.
— Oui.
— Et, comme tu peux le comprendre, nous avons besoin de leddarol. Nous devons avoir les réservoirs pleins de carburant au cas où nous devrions esquiver une… rencontre non désirée.
Gressyt mit un certain temps à répondre et, lorsqu'il le fit, il prit une voix basse.
— Klànius est de la mauvaise graine. Presque tous ceux qui ont eu affaire à lui ont fini par être refroidis. Il y a de moins en moins de monde qui veut travailler pour lui. Il peut vraiment t'apporter des emmerdes.
Rakkett répondit :
— Oui, on sait déjà qu'il a fait morfler plus d'une personne… Mais rien n'arrête le Skørdåt.
Rakkett prononça la dernière phrase avec un sourire.
— Eh bien, eh bien… Je peux te donner ce que tu demandes. Mais cela a un prix. D'autant plus après ce que vous m'avez fait la dernière fois. Ce sera 600 000 crédits.
Rakkett était consciente qu'elle devrait payer un tel montant, mais si elle acceptait tout de suite, Gressyt verrait qu'il pourrait en tirer plus et il augmenterait le prix. Elle fit donc semblant de marchander.
— On dit bien que t'es un salaud, Gressyt. C'est bien vrai. Comment oses-tu demander une telle somme d'argent ? C'est une fortune ! Je peux te donner 450 000 crédits, ce qui est déjà un scandale.
— Tu pensais que j'étais un salaud bien avant de l'entendre dire, ne viens pas pleurnicher maintenant, bon sang !!! Si tu veux ce leddarol, c'est ce que tu devras payer.
Rakkett dit en élevant la voix :
— Putain, merde, Gressyt ! Okay on a eu des différends, mais on est des clients habituels.
Rakkett jouait l'offensée parce qu'elle avait des raisons de le faire, mais elle faisait aussi un peu de théâtre : une partie de sa colère était pour le jeu de la négociation, elle espérait ainsi éviter que le prix n'augmente et dépasse les 600 000 crédits. Gressyt déclara :
— Eh bien, c'est à prendre ou à laisser.
Rakkett rumina (ou fit semblant de ruminer) pendant un bref instant, puis dit :
— D'accord, d'accord, 600 000…
— Au fait, les crédits avec lesquels tu me paies sont intraçables je suppose. Vous avez manipulé la chaîne de traçabilité de ces crédits j'imagine…
Rakkett ne put réprimer un sourire.
— Sûr. Ne t'inquiète pas, ces crédits sont propres. Impossible de dire d'où ils viennent. Ils ont été modifiés par ordinateur. Quoi qu'il en soit, je suppose que quelqu'un comme toi a suffisamment de moyens pour blanchir des crédits et falsifier leur traçabilité. Si tu n'as pas cette capacité, qui l'a ?
Cette fois, c'est Gressyt qui ne pouvait reprimer un sourire. Sans rien dire d'autre, il se retourna et appela quelqu'un de l'autre côté de la porte de l'entrepôt.
— Torryll, donne-moi quatre litres de leddarol !
Gressyt se tourne à nouveau vers Rakkett.
— Eh bien, dit Gressyt en sortant son intcom de sa poche, je brûle d'envie de recevoir votre argent…
Rakkett prit également son intcom, en activa l'écran et cliqua sur l'icône de l'argent. Après avoir tapé 600 000, elle appuya là où était écrit « Transfert ». Puis, un carré noir apparut à l'écran, avec le nom « Gressyt » dessous : c'était l'intcom de Gressyt. Au bas de l'écran, il y avait une icône verte avec le texte « OK » ; Rakkett appuya là. Au bout d'une demi-seconde, l'intcom de Gressyt émit un ting ; Gressyt regarda l'écran et, voyant qu'il avait reçu l'argent, se mit à rire. Puis il dit :
— C'est un plaisir de faire des affaires avec vous. En attendant, veux-tu prendre une gorgée de liqueur ? J'ai du salbut de Callisto. Un salbut savoureux, avec double distillation après macération. Ça te dirait ?
— Ça marche.
Rakkett s'appuya sur une balustrade pendant qu'une fille lui apportait un verre de salbut, une liqueur bleu marine. Elle s'en était plutôt bien sorti !

[2]

Lorsque Rakkett quitta l'entrepôt de Gressyt, elle transportait deux grandes fioles cylindriques avec du leddarol à l'intérieur, un liquide rose. Chaque fiole contenait deux litres de ce carburant. Elle les rangea dans son imperméable. Ça coûtait les yeux de la tête.
Elle se déplaçait parmi la foule. Soudain, elle heurta un type. Elle ne l'avait pas vu venir et elle le croisa sans avoir le temps de l'éviter. Il disparut aussi rapidement qu'il était arrivé. Rakkett fit deux autres pas et s'arrêta soudain. Son instinct lui disait que quelque chose n'allait pas. Rakkett palpa son imperméable. Les tubes de leddarol étaient en place dans les poches intérieures. Elle soupira de soulagement. Mais elle réalisa ensuite que son intcom avait disparu. Rouge de colère, elle se retourna rapidement et courut d'où elle venait en évitant les passants. Le type qu'elle avait heurté venait de lui voler son intcom !
Elle l'aperçut immédiatement dans la foule avec ses cheveux blonds coiffés en pique.
— Hé, toi, crapule ! Rends-moi l'intcom !
Le gamin se retourna et vit sa dernière victime qui le poursuivait. Deux mètres les séparaient, mais trois personnes se tenaient entre eux. Cela lui donnait un avantage. Il se mit à courir, essayant d'éviter les personnes qu'il trouvait sur son chemin.
C'est plus agréable de courir sur la Lune que sur la Terre, car, grâce à la faible gravité de la Lune, on peut y faire de plus grandes enjambées. Le gamin se faufila immédiatement de l'autre côté de la rue. Il se retourna alors pour chercher son poursuivant. Il pensait qu'elle serait prise dans la foule, mais, merde alors ! Elle était presque à sa hauteur. Il courut à nouveau, vers une ruelle sombre et étroite. Le garçon connaissait bien toutes les ruelles et il était sûr de pouvoir semer la fille.
Quand il déboucha sur une place moins fréquentée, il continua à courir et, tout en la traversant, tourna la tête… et cette fille était toujours après lui !
Le garçon bondit aussitôt vers des conteneurs et de là vers une terrasse en contrebas. En raison de la faible gravité, c'était du gâteau. Mais soudain, il remarqua que quelque chose volait lentement au-dessus de lui, puis la fille atterit doucement juste sous son nez. Elle toucha le sol les jambes écartées, mais elle était encore debout avec cet imperméable qui la faisait paraître plus âgée, avec ces cheveux roux hérissés et ces lunettes qui cachaient sûrement ses yeux pleins de colère. Comment a-t-elle pu sauter aussi loin ? Il lui avait fallu deux sauts pour monter sur cette terrasse, mais la fille l'avait fait en un seul. Peut-être avait-elle des propulseurs dans ses chaussures, mais on ne voyait pas de fumée sortir des semelles de ses bottes. Le garçon réagit rapidement et courut vers sa droite. Un peu plus loin, il y avait une esplanade pleine de débris abandonnés, vide de gens et peut-être qu'il pourrait la distancer. Il courut, sauta, mais une fois de plus cette fille atterrit lentement devant lui. Comment diable avait-t-elle pu sauter comme ça ? En un seul saut elle a pu avancer deux fois plus loin que lui. Cette fois, il fit une feinte rapide vers la gauche, mais la fille avait été plus rapide et le fit trébucher en lui faisant un croche-pied. Il tomba alors sur le visage et roula jusqu'au mur. Il voulait se lever rapidement pour courir à nouveau… mais ce faisant, il se trouva face à la fille qui pointait une arme sur lui, le bras tendu.
— Rends-moi l'intcom, connard !
Elle l'avait dit d'une voix sèche, dure et autoritaire. D'une rigidité absolue, elle avait les jambes écartées et le bras levé à un angle de 90 degrés par rapport à son corps, l'arme pointée vers lui. Elle semblait être collée au sol. Mikka sentit un regard plein de haine derrière ces lunettes noires, même s'il ne pouvait pas voir ses yeux. Le garçon mormonna :
— Je ne… Je ne sais pas de quoi tu parles…
Mais elle dit d'une voix ferme :
— Écoute mon garçon, je n'ai pas de temps à perdre. Rends-le-moi et je te laisserai partir. Sinon, je te mets une balle dans la tête. C'est à toi de choisir.
Le garçon était habile et rapide ; il réfléchissait déjà à la manière de se débarrasser de cet obstacle. Il fit semblant de mettre sa main à l'intérieur de sa veste… et soudain, donna un fort coup de poing au pistolet, ce qui le fit tomber. Elle avait non seulement perdu son arme (qui était tombée sur le sol et avait glissé quelques mètres plus loin), mais tout son corps avait vacillé. Le garçon pensait avoir réussi son coup quand la fille se remit rapidement dans la même position… mais tenait maintenant une autre arme de l'autre bras, également à un angle de 90 degrés par rapport au corps. Satanée fille, se dit-il, où avait-t-elle trouvé cette autre arme ? Et comment l'avait-t-elle prise si vite ?
— Me fais pas chier !, dit-elle encore plus fort. Rends-moi l'intcom, abruti !
Le garçon commença à transpirer. Il se sentait acculé. Il serait peut-être rentré avec une balle dans le bras ou… Soudain, il y eût une sirène et des lumières rouges et bleues. C'était une patrouille de l'armée ! Ils venaient probablement avec des motojets.
Le garçon se sentait perdu. Une fille en colère le menaçait avec un pistolet et une patrouille de l'armée était sur le point d'arriver. La sueur se transforma en sueur froide. Il se voyait déjà passer plusieurs chrons en taule…
Mais, à sa grande surprise, la jeune fille cacha rapidement le pistolet dans l'imperméable, saisit le garçon par les bras et, d'un geste rapide, le rapprocha d'elle de sorte que leurs lèvres se touchent brusquement. Il était un peu plus petit, alors elle le souleva légèrement (et il dût lever son cou et se tenir un peu sur la pointe des pieds). À ce moment-là, le motojet du soldat apparut alors que la fille et le garçon s'embrassaient avec passion.
Le garçon resta paralysé. La jeune fille le tenait fermement par les bras (ses mains ressemblaient à des pinces !) tout en l'embrassant avidement. Un soldat apparut à côté d'eux, vêtu de blanc (l'uniforme de l'armée) et portant un casque tout aussi blanc avec une visière noire sur les yeux.
— Quelque chose ne va pas ici ?, demanda-t-il.
La fille sépara ses lèvres de celles du garçon, tourna légèrement la tête et dit :
— Excusez-moi, monsieur l'agent. Mon petit ami et moi cherchions un endroit isolé…
Le soldat, d'un geste sérieux, s'approcha du couple et dit :
— On nous a dit qu'il y avait du grabuge. Avez-vous vu quelque chose ?
Mikka et Rakkett secouèrent tous les deux la tête. Puis le soldat leva son bras gauche et, rapprochant son poignet de sa bouche, dit en haute voix :
— Rien, fausse alerte. Deux qui se pelotent.
On entendit alors une voix d'homme sortant du poignet :
— Reçu. Confirmez les identités.
Le soldat prit un appareil de lecture à sa ceinture et dit :
— Identifiez-vous, s'il vous plaît.
Le couple se sépara, Mikka sortit son intcom de sa poche et montra l'écran au soldat. Le soldat approcha le lecteur à l'intcom et l'activa. Une lumière rouge éclaira l'écran. Le soldat éteint alors le lecteur et pointa vers le visage de Mikka, puis appuya sur un autre bouton. Cette fois, le visage de Mikka était illuminé en bleu tandis qu'une ligne rouge descendait de ses cheveux jusqu'à son menton. Lorsque la ligne rouge arriva en bas de son visage, le soldat abaissa le lecteur et regarda le petit écran situé à l'arrière. Le soldat dit :
— Voyons ce que nous avons là… Mikka Nedd, résidant ici sur Capsídia. Vous n'avez quitté la Lune pour aller sur la Terre que trois fois. Arrêté une fois pour tentative d'intrusion sur une propriété privée.
Alors Mikka cria comme en signe de protestation, en levant légèrement la main droite :
— Hey, hey ! Les soldats qui m'ont arrêté m'ont immédiatement libéré et m'ont dit que pénétrer dans un espace abandonné était un délit mineur et que je ne serais pas arrêté.
Le soldat ne dit rien, il avait toujours le même visage sérieux, les lèvres serrées. Il tourna la tête vers Rakkett et demanda :
— Et vous ?
Mikka avait l'intcom de Rakkett, il s'avança, le sortit d'une poche intérieure de sa veste et le montra au soldat.
— C'est moi qui l'ait. Je le garde parce qu'il y a beaucoup de voleurs dans ce quartier de Capsídia. Elle n'est pas du quartier. Je lui dis toujours de faire attention, mais il vaut mieux que je garde l'intcom.
Le soldat, sans rien dire, dirigea à nouveau le lecteur sur l'intcom de Rakkett, puis sur son visage pour le scanner. Lorsqu'il eut terminé, le soldat, regardant le petit écran à l'arrière, dit :
— Júlia Riggs. Travailleuse de maintenance à la station spatiale Xtear. Que venez-vous faire sur la Lune ?
Rakkett déclara en montrant Mikka de la main :
— Je suis en vacances et je suis venue voir mon petit ami.
Le soldat cliqua sur le lecteur et, après quelques secondes, déclara :
— Vérifié. Le régiment militaire de la station de Xtear confirme que Julia Riggs y travaille et qu'elle est maintenant en vacances à l'extérieur de la station.
Puis le soldat rangea son lecteur et dit :
— Faites attention. Cette zone est dangereuse.
Et, sans rien dire d'autre, il se retourna, monta sur le motojet et partit. Une fois dehors, Rakkett arracha son intcom des mains de Mikka en disant :
— Rends-moi l'intcom, idiot.
Le jeune garçon était encore stupéfait parce qu'elle venait de l'embrasser et, à son avis, avec un désir très brûlant. Ou était-ce du théâtre ? Mikka, les yeux brillants et souriant un peu, regarda la fille et dit :
— Tu t'appelles Júlia et tu es à la Xtear ?
Rakkett, en mettant son intcom dans la poche intérieure de son imperméable, dit :
— Mais, qu'est-ce que tu crois ?! Cette Júlia n'existe pas. C'est une fausse identité. Nous avons payé un hacker pour l'insérer dans le système informatique de la station Xtear. Chaque fois que les flics me demandent mon identité, je leur donne celle-ci. La fausse identité dans les fichiers de la Xtear est programmée pour toujours indiquer ʺen vacances à l'extérieur de la stationʺ. Si les soldats font un contrôle, c'est cette information qui apparaît et tout est donc toujours en ordre.
Mikka était étonné par la capacité de la fille à se faufiler hors des postes de contrôle militaires. Puis il dit en souriant un peu :
— Wow, je vois que tu n'aimes pas non plus avoir à faire à l'armée, hein ? C'est pour ça que tu m'as embrassé, n'est-ce pas ? Tu caches quelque chose toi aussi ?
Rakkett perdit son sang-froid et ajouta, agacée :
— Ça suffit les conneries ! Je me casse !
— Attends !
La fille fit un geste pour partir, le garçon essaya alors de la saisir par le bras mais Rakkett se débarrassa de lui et le frappa au ventre. Le corps du garçon se plia de douleur. Le souffle coupé, il dit :
— Putain, ça fait mal ! D'abord tu embrasses un gars et ensuite tu le tapes…
— Écoute, espèce d'âne !, dit-elle en colère et en élevant la voix, Je m'appelle Rakkett. Jamais on ne m'a volé avant, jamais ! T'entends ce que je dis ?
Il était clair qu'elle était furieuse à propos du vol. Plus précisément parce que quelqu'un avait réussi à lui voler quelque chose. Le garçon était encore essoufflé, mais il arriva à lui répondre :
— On ne m'a jamais attrapé… Tu es la seule personne qui l'ait fait. Si ça peut te consoler…
La jeune fille n'était pas du genre à plaisanter et commença à s'éloigner. Le garçon lui demanda :
— Hey, comment t'as réussi à faire ces sauts ?
Rakkett s'arrêta. Elle se retourna, marcha jusqu'à Mikka et lui lança :
— Idiot ! Si tu réfléchissais un peu, je ne t'aurais pas attrapé ! Mais non : tu penses avec ton cul plutôt qu'avec ta tête et c'est pour ça que je t'ai attrapé !
Le garçon marmonna, un peu confus :
— Je ne… Je ne te comprends pas…
Rakkett poussa un soupir et dit, un peu plus calmement (mais pas vraiment) :
— Écoute-moi bien, petite merde : chaque planète et chaque satellite a une gravité différente. Le même objet pèse différemment selon la planète ou le satellite sur lequel il se trouve. Une pierre qui pèse dix kilos sur Terre en pèsera quatre sur Mars. C'est ce qu'on appelle la gravité et celle-ci dépend de la masse et de la densité de chaque planète ou satellite. Comme Mars est deux fois plus petite que la Terre, les choses pèsent environ la moitié du poids de la Terre. Et comme la Lune est encore plus petite, tout ici pèse beaucoup moins, environ un sixième du poids de la Terre. Tu me suis, idiot ?
— Oui, oui…
Rakkett poursuivit :
— Les gens s'habituent à la gravité de chaque lieu lorsqu'ils y sont depuis un certain temps. Toi, tu es habitué à la gravité de la lune et tes muscles y sont adaptés. C'est pourquoi, dans tout le système solaire, les gens prennent des tonifiants musculaires. Car si tu vas sur Terre sans en prendre, n'importe quel objet te semblera six fois plus lourd. Même ton propre corps : tu ne pourrais pas tenir debout si ce n'est en exerçant beaucoup de force. Mais en prenant des tonifiants musculaires, lorsque tu arriveras sur la Terre, tes muscles s'habitueront rapidement à la gravité de la Terre. Si tu n'en prenais, tu ne pourrais pas bouger en arrivant sur Terre. Tu comprends ce que je dis ?
— Euh… oui…
— Écoute : puisque tu es habitué à la gravité de la Lune et que tu as les muscles adaptés à cet environnement, lorsque ton cerveau fait bouger ton corps, il donne l'ordre d'activer la force nécessaire pour faire un pas dans l'environnement lunaire. En revanche, je viens d'un vaisseau et sur les vaisseaux et les stations spatiales, il y a généralement la gravité de la Terre. Par conséquent, mes muscles sont prêts à se déplacer dans une gravité comme celle de la Terre. Ainsi, lorsque mon cerveau donne l'ordre de bouger, il active plus de force dans mes muscles. En d'autres termes, lorsque je fais un pas sur le vaisseau, ou sur la Terre, je brûle plus de deux fois plus de calories que toi pour faire le même pas ici sur la Lune. Tu me suis ou t'es si bête que t'es déjà perdu ?
— J'te suis, j'te suis…
— Si tu fais les calculs, tu sais qu'ici sur la Lune il y a moins de gravité que sur mon vaisseau. Ainsi, lorsque je saute, je le fais en tenant compte de la gravité de mon vaisseau, qui est la gravité de la Terre. Peut-être que dans quelques chrons, je me serais déjà habitué à la gravité de la Lune. Mais pour l'instant, mon corps est habitué à la gravité de la Terre. C'est pourquoi j'ai pu sauter deux fois plus loin que toi. Tu as sauté pour atteindre une terrasse et tes muscles ont fait la force nécessaire pour atteindre cette hauteur sur la Lune. Moi en revanche, j'ai exercé la force nécessaire pour atteindre cette hauteur sur la Terre. Par conséquent, j'ai sauté plus de deux fois plus haut que toi. On voulait atteindre tous les deux la même hauteur, mais je l'ai fait comme si je vivais avec la gravité de la Terre.
Rakkett fit une pause. Et finit, totalement calme :
— Avant de voler quelqu'un, imbécile, regarde-le bouger. S'il se déplace plus vite et plus légèrement que les autres, c'est qu'il provient d'une planète ou d'un satellite à plus forte gravité. Et il te battra toujours dans une course. Regarde ça avant de voler des intcoms et tu ne seras pas pris !
Quand elle eût fini, elle boutonna son imperméable et finit par dire :
— Je sais pas pourquoi je te dis ça et je perds mon temps avec toi !
Elle s'était à nouveau retournée et faisait de grands pas. Elle était vraiment en colère. Mais ce garçon la trouvait attirante, même avec ces horribles lunettes noires qui semblaient cousues à sa peau. Le garçon dit en criant, alors que la fille était déjà un peu loin :
— Je m'appelle Mikka ! J'espère te revoir, Rakkett !
La fille ne se retourna et ne dit rien. Elle continua à marcher.

[3]

Mikka n'avait pas l'habitude de s'attirer des ennuis. Mais il était attiré par cette fille. Elle avait quelque chose… Il décida donc de la suivre discrètement. La jeune fille marchait régulièrement, se déplaçant entre les modules en direction de la zone des hangars de la ville. Il la suivait à distance, prudemment, se cachant légèrement de temps en temps, au cas où elle se retournerait.
Au bout d'un moment, la fille arriva dans un grand hangar et entra à l'intérieur. Mikka avança en frôlant le mur du hangar. Avant d'atteindre la porte par laquelle la jeune fille était entrée, il grimpa sur des boîtes contre le mur et, de là, il pût regarder dans le hangar par une fenêtre.
Il vit alors une navette à l'intérieur. Il ne voyait pas tout parce qu'il y avait des boîtes empilées près de la fenêtre qui l'empêchaient d'en voir une partie. Mais il pouvait voir qu'il s'agissait d'un cargo de couleur lilas et avec un profil aérodynamique.
Soudain, une voix masculine cria derrière lui :
— Toi, gamin ! Qu'est-ce que tu fais ici ?
Mikka quelque peu effrayé se baissa rapidement. Il se retourna et vit un homme âgé, râblé, à la peau blanche, avec une très petite barbe et vêtu d'une combinaison grise. C'était un ouvrier du hangar. Mikka marmonna en descendant de la boîte sur laquelle il était perché :
— Je suis désolé…
— Nous ne voulons pas de rôdeurs ici. Tu veux quoi ? Faucher quelque chose de ce navire ? Tu sais ce qu'on fait aux voleurs comme toi ? On leur met les mains dans de l'huile de machine bouillante. Tu verras comme ta peau deviendra fine. Ici on n'appelle pas l'armée pour arrêter des voyous comme toi. On sait ce qui se passe : ils vous arrêtent, mais après quelques heures, ils vous laissent partir. On fait la loi nous-mêmes ! Alors sors maintenant si tu ne veux pas qu'on te règle ton compte mes copains et moi !
— D'accord, je m'en vais… Ce que je voulais, c'est savoir qui sont les gens de ce navire.
— Me la racontes pas !, interrompit le gardien du hangar rendant son visage encore pire, Tu es venu ici pour voir ce que tu peux dérober ! Eh bien, tu ferais mieux d'y réfléchir à deux fois avant de voler quoi que ce soit sur ce vaisseau !
Alors Mikka demanda, en essayant de transmettre la tranquillité avec sa voix :
— Savez-vous qui ils sont ?
— Tu ne sais pas ? C'est le Skørdåt ! Ce navire a parcouru plus de miles que tu n'en auras jamais à ton actif ! Tu ferais mieux de ne pas les embêter, si tu ne veux pas te faire baiser !
— Eh bien…
— Allez !
Mikka commença à partir mais après avoir fait trois pas, il se retourna et demanda :
— Vous savez si je peux essayer de les voir ? Je veux dire… si je voulais parler à ces gens, comment je devrais faire ? Comment puis-je le demander ?
L'ouvrier du hangar renifla, fatigué de la situation et dit :
— Laisse tomber. Ils partent dans quelques heures vers la Terre. Je ne pense pas que tu puisses les voir. Eux-mêmes ne veulent avoir à faire à personne. Ils préfèrent passer inaperçus.
Mikka garda le silence pendant quelques secondes, puis dit :
— Donc ils vont vers la Terre… Et savez-vous où, exactement, sur la Terre ?
Le petit homme grogna, enragé :
— Qu'est-ce que j'en sais !? Je ne me mêle pas des affaires des autres. Surtout pas des affaires des hors-la-loi ! Écoute, bandit, je vais te donner un conseil. Les voyageurs de l'espace, comme ceux du Skørdåt, ne veulent généralement donner d'explication à qui que ce soit, ils ne veulent pas être contrôlés. C'est pour ça que je ne me mêle pas de leurs affaires. Et je te conseille de faire de même : laisse-les tranquilles et ne leur dit rien. Sinon, tu risques de recevoir un coup.
— Oui… Mais si je voulais leur parler, comment je ferais ?
Le petit homme brailla d'une voix encore plus forte :
— Mais quel entêtement !!! Il semble que tu n'as pas reçu assez de claques dans ta vie… Tu es jeune, mais tu ne devrais pas être aussi stupide !!! Eh bien, voilà. Lorsqu'ils voyagent vers la Terre, ils séjournent généralement au cosmoport Siik. Si on veut leur parler, d'ordinaire il vont au bar d'un certain Shoêk. C'est là que vont habituellement les pilotes des grands cargos. Les skørdåtiens y traînent à minuit, heure locale.
— Merci !
Mikka se retourna et commença à marcher avec les yeux brillants. Le petit homme vit ce garçon partir, puis il lui cria :
— Hey, gamin !
Mikka s'arrêta et fit demi-tour :
— Oui ?
Le petit homme dit :
— Je pense que tu sais pas ce que tu fous. Si j'étais ton père, je te dirais de rester loin des gens comme ça. Mais je sais que tu m'écouteras pas. Alors, écoute cet autre conseil que je vais te donner tout de suite : les gens comme les skørdåtiens tirent d'abord et posent des questions après. Alors les fais pas chier. Si tu vois qu'ils ne veulent rien avoir à faire avec toi, n'insistes pas, ou tu finiras mort dans un coin. Compris ?
Mikka acquiesça, se retourna et continua à marcher. L'ouvrier du hangar le regardait avec les mains dans la poche de son bleu de travail. Quand Mikka était déjà loin, le petit homme mit un bâton de réglisse de plastique dans sa bouche et dit à haute voix, tout en mâchant et en savourant le réglisse :
— Merde ! Qu'est-ce que tu paries que ce garçon va leur casser les couilles ? Il va se faire défoncer, c'est sûr. Putain de gamin !
 

[4]

Cosmoport Siik, mer d'Aral, la Terre

Il faisait nuit noire au cosmoport Siik. C'était un endroit énorme, qui pouvait contenir des milliers de navettes spatiales. Pour cela, les terminaux avaient plusieurs étages qui se chevauchaient. Dans chaque terminal, il pouvait y avoir jusqu'à vingt navires les uns sur les autres. Même si c'était une nuit noire, beaucoup de gens allaient et venaient dans le cosmoport. Le trafic de personnes et de marchandises ne cessait jamais (sauf lorsqu'il y avait une grève). Le bar de Shoêk était ouvert. Il était petit, avec seulement neuf tables blanches carrées en plus du comptoir où pouvaient s'asseoir quatre personnes. Une baie vitrée donnait sur le cosmoport et on pouvait voir quelques navettes en stationnement. Mikka entra. Il vit que le bar était plein, à l'exception de quelques tables. Il était nerveux, parce qu'il n'avait jamais fait quelque chose comme ça avant… mais on n'a rien sans rien, comme on dit. Il alla au comptoir et s'adressa au barman, Shoêk.
— Bonsoir. Je cherche le capitaine du vaisseau Skørdåt.
Le serveur était un homme grand, épais, à la peau brune et aux cheveux gris mal entretenus. Alors qu'il posait des verres, il lui répondit d'un air rude et méchant et d'une voix rauque :
— C'est pas le bureau d'information.
Mais Mikka répondit, ne sachant pas trop quoi dire :
— Oui… C'est juste que… Je viens de la Lune, vous savez… et je suis venu expressément pour parler au capitaine du Skørdåt. On m'a dit sur la Lune que je pouvais le trouver ici. Et on m'a aussi dit que lorsqu'il se trouve dans ce port, il est généralement ici vers une heure et quart du matin, heure locale …
Avec la voix rauque, Shoêk répondit :
— Eh bien, celui qui vous a dit ça est probablement un connard.
Mikka savait qu'il ne serait pas facile de contacter les membres du Skørdåt. Il préféra donc la jouer cool.
— Et bien, donnez-moi une bière, s'il vous plaît… Et je vais attendre à cette table jusqu'à ce que le capitaine du Skørdåt arrive. Ça vous va ?
Le barman ne dit rien. Il remplit un verre de bière et le donna à Mikka. Celui-ci paya avec un intcom volé, puis il alla à une table avec la bière et s'assis.
Cela faisait plus de deux heures. Mikka était toujours assis, avec trois verres de bière vides. Soudain, il le vit entrer. Il avait la peau blanche, portait de longs cheveux bruns, était vêtu d'un imperméable brun et portait les mêmes lunettes noires que Rakkett. C'était donc le capitaine de Skørdåt. Il alla s'appuyer au comptoir, droit devant. Puis Mikka se leva et marcha lentement jusque là.
— Excuse-moi, c'est bien toi le capitaine du Skørdåt ?
— Et alors ?, répondit l'homme sans même tourner la tête.
— Eh bien… Je m'appelle Mikka. Je viens de la Lune. On m'a dit de venir ici pour te trouver.
— Oui, Shoêk m'a déjà fait savoir que quelqu'un m'attendait. Je m'appelle Denk. Désolé de t'avoir fait attendre si longtemps. Je fais généralement comme ça. Si la personne qui veut me voir est vraiment intéressée, elle attend le temps qu'il faut. Dis-moi ce dont tu as besoin. Quelque chose à transporter ?
— Uh… Pas exactement. C'est juste que j'ai rencontré une fille sur la Lune, elle s'appelle Rakkett. On n'a pas vraiment eu le temps de parler… mais ensuite j'ai posé des questions sur elle, pour voir si quelqu'un la connaissait et un ami m'a dit qu'elle était le second sur le vaisseau Skørdåt. On m'a dit que c'est un très bon vaisseau et que pour contacter son capitaine, Denk, c'est-à-dire toi, il fallait venir ici, chez Shoêk dans ce cosmoport. Et, bref, j'aimerais revoir cette fille…
Mikka resta sans voix quand il vit le capitaine du Skørdåt tourner la tête et le regarder de manière intimidante (en fait, le capitaine était beaucoup plus grand que Mikka). Bien que les lunettes noires l'empêchaient de voir ses yeux, la dureté des traits reflétait sa colère. Denk s'exclama :
— Putain de gamin ! Tu m'as fait venir ici juste parce que tu voulais voir ma sœur ?
Denk se dirigea vers la porte avec détermination. Mikka, effrayé, le suivit.
— Je suis venu expressément pour la voir ! On n'a pas pu finir la conversation et…
Mais Denk s'arrêta brusquement et, fixant Mikka, lui dit :
— Écoute, mon garçon ! Si tu veux jouer avec le feu, va au Soleil et laisse-nous tranquilles !
Mikka était stupéfait. L'homme était un peu plus grand que lui et le ton de sa voix était très dur. C'était vraiment une famille difficile à aborder, pensa Mikka.
Denk poursuivit son chemin à grandes enjambées vers une galerie. Mais Mikka était venu expressément de la Lune et il n'allait pas le laisser filer. Il suivit donc Denk. Mikka avait les muscles habitués à la Lune ; par conséquent, pour lui, son propre corps pesait plus lourd. Bien que les tonifiants musculaires qu'il prenait habituellement lui aient permis de résister à son nouveau poids, l'adaptation gravitationnelle totale demande quelques heures. Il se fatiguait donc plus vite et eût du mal à suivre Denk, au point de le perdre. Juste au moment où il pensait devoir abandonner, il s'arrêta dans un endroit solitaire, en soufflant. Il se demandait ce qu'il devait faire, s'il devait continuer à chercher le Skørdåt (ce qui était difficile, car il y avait peut-être 2 000 vaisseaux dans ce cosmoport) ou retourner à la Lune sur le premier transbordeur qui y allait. Il envisagea sérieusement cette dernière option ; il était clair que ces personnes ne voulaient rien avoir à faire avec lui.
Soudain, trois personnes apparurent derrière des conteneurs à proximité. Il s'agissait de trois hommes, l'un d'eux était blanc, maigre et chauve, il avait un couteau. Les deux autres (un noir et un blanc) n'étaient pas armés, mais ils étaient plus grands et pourraient certainement lui mettre une raclée. L'homme au couteau dit :
— Salut, petit. Tu as quelque chose pour nous ?
Mikka marmonna :
— Huh ? Désolé, je n'ai rien sur moi…
— Eh bien, regarde, on veut ton intcom et tous tes objets de valeur ! Si tu ne nous les donne pas, on te fera un nouveau visage.
Mikka se sentait acculé, c'était ce qui lui manquait. Il dit, en bafouillant, pensant que ça l'aiderait :
— Je ne connais personne par ici…
— Tant mieux. Comme ça, si on te plante, tu ne manqueras à personne !
Soudain, derrière eux, la voix de Denk se fit entendre :
— Laissez-le !
Denk apparut providentiellement de l'ombre. Il portait une arme (identique à celle de sa sœur sur la lune) et visa (avec son bras à un angle de 90 degrés par rapport à son corps) ces trois malheureux. Denk savait déjà que la seule arme que portaient ces trois voleurs était le couteau, car il les avait scannés avec les lunettes noires. Les trois hommes se retournèrent vers Denk. Le porteur du couteau dit :
— Eh bien, un garçon de l'espace qui se la joue : c'est trois contre un, vrai ?
Pas une seconde ne s'écoula entre le moment où l'homme avait dit cela et le coup de feu. Denk venait de lui tirer dessus. La balle entra dans son front. Le trou de la balle se mit à saigner. Immédiatement, le corps de l'homme s'écroula.
Denk, sans perdre son sang-froid et sans pratiquement aucun mouvement musculaire, tourna le bras qui tenait l'arme vers un autre des hommes et dit :
— Tu veux faire quoi ? Continuer à discuter mathématiques ? Ou tu préfères te tirer maintenant ?
Les deux hommes commencèrent à reculer de peur sans rien dire et, l'instant d'après, filaient de là en courant. Quand ils furent partis, Denk posa son arme.
— Tu ne dois pas traverser ce port seul. C'est dangereux.
Mikka ne savait pas quoi dire : c'était la première fois qu'il voyait un homme se faire tuer. Denk lut dans ses pensées quand il vit son visage en état de choc.
— Ne t'inquiètes pas. C'était un salaud. Il ne manquera à personne. Même pas aux deux merdes qui étaient avec lui.
Denk rangea l'arme dans son imperméable et poursuivit :
— Et maintenant, garçon, partons d'ici avant que les militaires n'arrivent : ils auront sûrement entendu le coup de feu.
— Et on laisse le mort ici ?
— Bien sûr. Que veux-tu en faire ? L'armée s'en chargera. Ils vont essayer de l'identifier. Dès qu'ils découvriront que c'était un escroc ou un sale trafiquant de drogue, ils le brûleront. Et s'ils ne peuvent pas l'identifier, idem.
Mikka demanda à nouveau :
— Ah… On va où ?
— Au vaisseau. Pour l'instant, c'est l'endroit le plus sûr. Tu voulais voir ma sœur, non ? Eh bien, vœu exaucé !
 
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